Mes ami·e·s et ma famille me demandent ce que je pense de l’annonce d’Emmanuel Macron hier soir à propos de la réouverture des établissements scolaires le 11 mai 2020. J’ai pensé partager avec vous quelques réflexions en vrac et à chaud sur ce sujet qui me touche de près.
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Si la réouverture des établissements se fait progressivement avec des classes fractionnées et dans de bonnes conditions sanitaires, compte tenu des enjeux d’égalité et de violence auxquels sont confronté·e·s nos élèves, ça ne me semble pas aberrant d’y réfléchir.
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Je ne veux pas cependant donner dans l’angélisme et je crois très fort au principe de réalité qui va nous tomber sur le coin du museau.
La réalité de l’Education Nationale (EN) aujourd’hui ce sont des établissements minuscules et mal entretenus avec des classes surchargées, l’absence de savon ou de papiers dans les toilettes et des points d’eau anecdotiques à l’échelle de la population concernée. L’impossibilité de respecter les distances de sécurité est totale.
La réalité des soignants aujourd’hui c’est de ne pas avoir de masques en quantité suffisante et d’exercer dans des conditions indignes. Je ne vois pas comment d’ici un mois les personnels de l’EN pourraient se voir garanties les conditions de sécurité nécessaires au bon accueil de nos élèves.
A titre personnel, j’enseigne dans une région estimée à 283 540 habitants au 1er janvier 2019 et où plus de 50% de la population a moins de 25 ans[1]. Nos capacités d’accueil sont boostées à 38 lits en réanimation contre 11 habituellement[2].
Cela fait beaucoup d’élèves… Les élèves qui auraient le plus besoin de notre accompagnement, sont aussi celles et ceux qui sont les plus exposé·e·s en raison de leur situation économique et sociale. Les plus précaires vivent dans des logements insalubres qui favorisent la promiscuité et complexifient l’accès à l’hygiène.
Nous enseignons en Guyane dans des conditions de travail dégradées[3]. Nous avons des établissements sur le territoire guyanais qui jusqu’à il y a peu n’avaient pas de toilettes, certains étaient sans eau, les collègues font circuler des photographies où l’on voit des salles couvertes de moisissures… Je ne crois pas en la mise en place de conditions sanitaires acceptables à partir du 11 mai.
Je souhaite que mes collègues les plus âgés et plus fragiles soient autorisés à rester chez eux, mais je pense également à toutes les grands-mères qui vivent avec les enfants[4] et je me dis que des drames sont à venir. En ce qui me concerne et connaissant ma constitution fragile, je sais que je risque de contracter le virus avec cependant peu de risques d’en passer par une forme sévère. Je ne suis pas sans ignorer que la forme modérée reste un très mauvais et long moment à passer et la perspective de gérer ça seule ne m’enchante pas.
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En bref, deux possibilités quant à l’intervention de Macron hier :
- Pur effet d’annonce pour désamorcer toute possibilité de grogne et de panique dans la population à l’idée que la rentrée scolaire se fasse en septembre ;
- Volonté d’utiliser l’Education Nationale comme un lieu de garderie afin de remettre la force économique du pays au travail ➡️ deuxième vague.
En l’absence de tests systématiques et de moyens de protection adaptés, je ne crois pas à la protection des élèves ni des travailleurs et travailleuses qui, dans le meilleur des cas, pourront tranquillement ramener le virus dans leur foyer auprès des plus vulnérables.
[1] Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4285434#consulter
[2] Source : https://la1ere.francetvinfo.fr/guyane/coronavirus-faire-face-epidemie-guyane-compte-38-lits-reanimation-815546.html
[3] On peut lire ceci sur le sujet. Je suis consternée par l’expression « tiers-monde » utilisée par les enseignants dans l’article, mais il décrit des conditions de travail assez fidèles à notre réalité. https://www.lepoint.fr/societe/la-guyane-tiers-monde-scolaire-de-france-14-04-2017-2119698_23.php
[4] C’est un modèle familial courant en Guyane.
Photo de Muneer ahmed ok sur Unsplash