Depuis peu, je reçois une flopée de demandes de conseils de la part de mes potes qui partagent avec moi leur envie de se replonger dans l’univers ensorcelant de la lecture. J’ai remarqué pourtant que leur souci principal n’est pas tant celui de réapprendre à lire que de regagner de l’assurance en la matière.
L’accès à la lecture varie en fonction du milieu social, ce qui peut être lié à la perception élitiste de la pratique. De plus, il existe une distinction symbolique entre la bonne et la mauvaise lecture qui dévalorise certaines formes de lecture. Il est important de repenser notre approche de la lecture pour retrouver confiance en notre capacité à la pratiquer. C’est pourquoi je livre aujourd’hui trois conseils simples pour se remettre à lire : s’amuser, se surpasser et observer ses propres pratiques. Vous l’aurez compris, l’idée c’est surtout de ne pas se mettre la pression pour lire !
Lire : un loisir élitiste ?
De manière générale, il est admis qu’on gagne à lire plutôt qu’à ne pas lire. La lecture est parée de toutes les qualités : elle permet de réfléchir, de comprendre le monde, de prendre de la distance, brise les malédictions et ramène l’être aimé (ah non oups pas ça). Disons simplement que la lecture est portée aux nues : la valeur sociale de la lecture est reconnue, c’est un loisir qui a gagné ses lettres de noblesse.
Je n’utilise pas le terme « lettres de noblesse » totalement au hasard : l’accès au livre n’est clairement pas le même en fonction de son milieu social. En 2021 l’Observatoire des inégalités publiait un petit rapport avec plein de données et de jolis graphiques pour expliquer que « 47% des ouvriers et employés ne lisent jamais de livres, contre 15% des cadres supérieurs »[1]. Cette enquête connait des limites (à mon sens elles sont assez importantes d’ailleurs) parce qu’elle ne prend pas en compte notamment la presse et les BD, mais elle met quand même en évidence que la lecture au fond c’est un peu un loisir de riches. J’imagine que le prestige qu’on associe à cette pratique peut être relié à cette dimension élitiste.
Et puis comme si ça ne suffisait pas, on se rajoute encore une petite pression supplémentaire : il y a la bonne lecture et la mauvaise lecture. Il y a la lecture d’essai, de philosophie et de classiques : bien, merveilleuse, élève l’âme, fait les cheveux soyeux et la truffe humide. Et il y a la mauvaise lecture, les ouvrages techniques, les mangas, les BD, les Marc Lévy et les romans d’amour ou les magazines des bords de plage : accessible, nul, vaguement honteux, cachez ce livre que je ne saurais voir ! En fait les choses sont un peu plus complexes que cela.
Dans un article intitulé « Des lecteurs qui s’ignorent : les formes populaires de la lecture »[2], la sociologue Martine Naffréchoux évoque différentes formes de lectures « dévalorisées sur le plan symbolique » et postule l’existence d’une lecture populaire à part entière avec des pratiques propres[3]. Elle interroge le positionnement des sociologues sur le caractère élitisme de l’évaluation de la lecture : « Parler de cette littérature, c’est, de toute façon, en venir rapidement à l’évaluer. Autant en mal qu’en bien, et plutôt plus souvent en mal ». La perception de la lecture légitime versus illégitime est une question qui résonne dans dans mon entourage. En effet, je découvre généralement assez vite que mes proches lisent, mais ont le sentiment de ne pas lire correctement ou de ne pas lire le bon type de littérature.
« La lecture est trop importante pour être traitée seulement comme une pratique culturelle »
C’est de ce constat dont je suis partie pour essayer d’imaginer comment retrouver confiance face aux livres quand on a le sentiment de ne pas (assez) lire.
Conseil n°1 : Amusez-vous !
Mon premier conseil découle naturellement de tout ce que je viens d’expliquer. Si vous désirez vous remettre à la lecture et adopter cette activité comme un loisir régulier dans votre vie, oubliez l’élitisme et donnez-vous le droit de kiffer ! C’est d’autant plus important si vous n’avez pas touché à un bouquin depuis des mois (années ?) !
Peut-être que votre ambition dans votre vie littéraire c’est de réussir à lire tous Les Rougon-Macquart[4] ; c’est tout à fait respectable, mais que diriez-vous de commencer tranquillement ?
Ne choisissez pas votre lecture parce qu’elle « fait bien », privilégiez quelque chose qui vous tente réellement. Personnellement je lis des classiques pour mon métier et des essais pour essayer d’élargir mes horizons intellectuels, mais ce que j’adore très sincèrement ce sont les romans young-adult[5] , les BD, et le cozy mystery[6]. Je ne m’en lasse pas et j’ai du mal à lâcher mes bouquins une fois lancée !
Trouvez ce qui va allumer cette étincelle d’intérêt chez vous et alimentez-la. C’est bon de se laisser porter par une lecture doudou sans attendre qu’elle fasse de nous une meilleure personne, parole de lectrice !
Conseil n°2 : Dépassez-vous !
Vous avez trouvé la perle rare, le bouquin qui vos motive, mais voilà… Vous avez du mal à vous concentrer. Rien de plus normal, la lecture ça ressemble pas mal à la musculation. Au début ça peut être compliqué et à la fin vous enchaînez les séries d’abdo sans sourciller.
L’apprentissage de la lecture est une compétence qui se travaille du CP jusqu’au collège. En effet, la capacité à lire correctement à haute voix un texte continu est encore évaluée en 6ème, on appelle cela « fluence ». Savez-vous pourquoi ? Tout simplement parce que plus on lit, mieux on lit.
Automatiser la lecture des mots libère le cerveau pour mieux se concentrer sur la signification. Ça ressemble un peu à la danse, n’est-ce pas ? On doit apprendre les mouvements pour être capable de danser sur la chorégraphie. Plus on pratique, plus les mouvements deviennent naturels, et plus on peut se laisser aller sur la piste !
Pour devenir virtuose de la lecture, entraînez-vous ! De petits challenges peuvent muscler vos compétences de lecture. Par exemple, vous pouvez vous mettre au défi de lire 5 minutes par jour pendant une semaine. Ensuite, augmentez de 5 minutes chaque semaine jusqu’à ce que vous soyez enfin à l’aise.
Si vous êtes de nature sociable, la lecture n’a pas à être une activité solitaire. Joignez-vous à une tribu de lecture ! Organisez des lectures en groupe ou explorez un club de lecture. Vous pouvez également vous connecter à une communauté en ligne comme LivrAddict, une plateforme francophone qui vous permet de trouver du monde avec qui échanger.
Conseil n°3 : Observez-vous !
Alors c’est l’endroit où il faut que je mette des pincettes : j’ai bien écrit « observez-vous » et non pas « fliquez-vous » ! L’idée ici c’est vraiment de porter un regard bienveillant sur votre pratique. Ça commence par avoir les outils qui vous permettront de reconnaître votre progression, car oui, vous allez progresser !
Ici on peut avoir trois niveaux de pratique selon le fun que ça nous inspire. Le niveau 1, accessible pour tout le monde, c’est la note mentale. Imprégnez-vous de vos progrès en notant, par exemple, comment vous êtes passés de 5 minutes de lecture par jour à 15 et félicitez-vous. Bravo vous ! C’est plutôt facile, mais si on n’inscrit pas quelque part ses victoires, je trouve qu’il est difficile d’avoir un regard objectif sur soi-même.
Le niveau 2 peut consister à utiliser des outils numériques. Pourquoi ne pas jeter un œil sur LivrAddict ? Leur site permet de tenir votre propre liste de lecture, en y ajoutant des notes pour vous aider à mieux cerner vos goûts. Vous pouvez aussi découvrir de nouvelles lectures si vous êtes en panne d’inspiration ! En prime, une barre de progression vous indique le rythme de votre lecture, et vous pouvez également visualiser le nombre de pages et de livres lus dans le mois ou même une carte du monde de vos lectures… De quoi se fixer plein de nouveaux défis !
Le niveau 3 c’est tout simplement de créer votre propre journal de lecture. Je pourrais vous en parler plus en détails dans un futur article, mais en gros ça peut être un endroit dédié à vos listes de lectures, vos impressions et notes en tout genres, vos citations préférés, des photos ou des dessins… L’écriture est très complémentaire à la lecture et ça peut vraiment être un mode d’expression à part entière. Non seulement vous prendrez du recul sur vos lectures, mais cela vous permettra aussi de laisser libre cours à l’artiste qui sommeille en vous. C’est plus de temps, mais ça peut être très amusant !
J’espère que cet article vous aura été utile, à bientôt(-ish) pour de nouvelles aventures !
Notes de bas de page
[1]« Un accès au livre profondément inégal selon les milieux sociaux », Observatoire des inégalités, 2021, [https://www.inegalites.fr/Un-acces-au-livre-profondement-inegal-selon-les-milieux-sociaux]
[2] « Des lecteurs qui s’ignorent : les formes populaires de la lecture », Martine Naffréchoux, Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1987, n°5, p. 404-419, [https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1987-05-0404-001]
[3] Si l’article date (il a quand même été écrit bien avant ma naissance), il me semble qu’il garde de son intérêt et de sa vérité ; encore plus aujourd’hui peut-être puisque le développement d’internet permet à de nouvelles formes de lectures populaires d’émerger.
[4] Série de 20 romans écrits par Emile Zola entre 1870 et 1893, véritable monument de la littérature française.
[5] La littérature Young Adult, souvent abrégée YA, est une catégorie de publication de fictions à destination d’un lectorat majeur ayant des attentes thématiques issues de la littérature jeunesse.
[6] « Le phénomène des cosy mysteries, ces polars légers et réconfortants qui cartonnent en librairie », Armandine Castillon, France Télévisions, 31 mai 2023, [https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/roman/le-phenomene-des-cosy-mysteries-ces-polars-legers-qui-reconfortent-et-qui-cartonnent-en-librairie_5854997.html]